"La Presse illustrée" du 27/07/1879

Chislehurst – Camden-House

« L’Histoire vient de fermer le livre des Césars. Impartiale et indifférente, elle soulève d’une main calme le voile du passé. Au spectre de Bonaparte, à l’ombre du roi de Rome, au fantôme de Napoléon III, elle montre le cercueil d’un enfant.

C’est entre les lames de plomb de cette enveloppe funéraire que gît le dernier rejeton de la dynastie napoléonienne. C’est là que le suprême espoir des impérialistes est à jamais englouti.

L’Histoire, terrible de sang-froid, constate impitoyablement les millions d’hommes tués par les deux empereurs, les provinces perdues, le sol de la France foulé par des hordes étrangères, les milliards jetés en rançon, la Patrie abaissée et pleine de douleurs.

La Mort n’a pas permis aux fils de réparer les fautes des aïeux. Peut-être n’a-t-elle pas voulu que des malheurs nouveaux vinssent s’ajouter encore aux désastres passés ?

Il nous suffit, comme à l’Histoire, d’enregistrer les évènements. Libre aux politiciens de tirer du Présent les déductions qui leur plaisent. Notre seule tâche est de renseigner le public par le crayon et par la plume. Renseignons-le.

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Camden-House est situé au centre de Chislehurst, à cinq lieues de Londres, dans une vallée plantureuse et verdoyante. C’est la plus jolie et la plus vaste des habitations de campagne dont le pays est couvert.

Camden-House est un édifice en briques bâti dans le goût italien et flanqué de deux pavillons d’aspect assez élégant. On y arrive par une avenue qui se rattache au parc, peuplé de beaux arbres, orné de larges pelouses.

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La chambre occupée par la veuve de Napoléon III est éclairée par deux hautes fenêtres donnant sur le parc. Un lit de milieu, à colonnes, se dresse à l’une des extrémités de la pièce. A droite, une toilette basse chargée d’ustensiles divers. Une large armoire à glace, munie de candélabres mobiles ; puis une étagère avec mille bibelots. A gauche, une bibliothèque contenant peu de volumes, parmi lesquels on compte plusieurs ouvrages de piété et on remarque l’Histoire de César, par Napoléon III. Une cheminée de marbre blanc, surmontée d’une pendule style Louis XV et d’une glace au cadre très fouillé. Au milieu de la chambre, garnie d’épais tapis, deux tables, l’une ronde, l’autre rectangulaire aux pieds dorés.

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L’ex-impératrice rangeait le cabinet de travail de son fils lorsque la fatale nouvelle lui est parvenue du Cap. Cela explique pourquoi nous trouvons pêle-mêle, sur une immense table couverte de cuir fauve, des livres, des brochures et de menus objets : un baromètre, une petite pendule montée en obusier ; une photographie de Napoléon III sur un chevalet. Autour de la table s’appuient les tableaux qu’on a détachés des murs. Devant une large fenêtre, en face de la porte d’entrée, une table de travail.

Parmi les tableaux, on voit une aquarelle représentant « une revue à Longchamp », un tableau représentant Bonaparte à cheval, un autre reproduisant l’entrevue de Fox et de Napoléon Ier.

Sur une console, un buste de l’abbé Deguerry, une réduction en bronze de la colonne Vendôme, Napoléon III à cheval, un grenadier, un artilleur et deux cent-gardes, œuvres du sculpteur Frémiet.

Près de la cheminée, en porphyre rouge, une bibliothèque surmontée d’une couronne et d’un casque de cent-garde, et, tout autour de la pièce, des corps de bibliothèque, à hauteur d’appui.

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L’église catholique de Sainte-Mary est à dix minutes de Camden-House. C’est un modeste bâtiment tapissé de plantes grimpantes et recevant l’ombre d’un massif de grands arbres.

La sépulture provisoire de l’ex-prince impérial se trouve dans une petite chapelle latérale, fermée par une grille devant laquelle s’entassent bouquets et couronnes funèbres.

On voit, dans le chœur de la chapelle, à gauche, trois fauteuils : l’un, voilé de noir, était celui de Napoléon III ; celui du milieu est réservé à la veuve ; l’autre, aujourd’hui également couvert de crêpe, était celui du jeune prince.

Et, si peu philosophe qu’on soit, en pénétrant dans cette église de village, on ne peut s’empêcher de songer à ces étranges retours des choses d’ici-bas, à ces grandeurs et à ces décadences, à ces empires et à cette poussière ! »

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