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10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 08:02

L’un après l’autre, tous les hommes passent auprès de lui en fuyant, l’un d’eux est couché en travers de sa selle où il essaie de s’asseoir : c’est un certain Letock, un ancien marin de Guernesey, dont le français est la langue maternelle, et, en dépassant le Prince, il lui crie : « Dépêchez-vous, monsieur, s’il vous plaît ! ». Le Prince ne répond pas. Son cheval, à ce moment, voyant les autres partir, prend le galop à son tour. Le Prince le suit. Ils font ainsi plus de deux cents mètres, la distance du kraal au donga ; le Prince est accroché à la crinière du cheval et à la selle. Cette selle avait été achetée en France, elle était élégante et fine, une excellente selle de sportsman ; ce n’était pas la selle d’un officier. A ce moment, elle se déchire sous la main du Prince qui roule à terre. Carey était déjà loin, mais quelques uns des hommes qui le suivaient, traversaient le donga sur un autre point, ils virent cette chute. Letock cria à Carey : « Monsieur, le Prince est à terre ! ». Entendit-il ? … Ce qui est certain, c’est qu’il continua sa route et fit signe aux hommes de continuer … Le Prince se relève, il voit ses compagnons s’éloigner, il voit son cheval gravir l’autre bord du donga et disparaître …

 

Imaginez, si vous pouvez, ses pensées à ce moment, moi je n’en ai pas le courage … Chose affreuse, il n’a plus d’épée, cette lourde épée, présent du duc d’Elchingen et qui venait probablement du maréchal Ney : elle avait dû sortir du fourreau au moment où le Prince avait été renversé ! Il a, dans la main gauche, un revolver, l’autre est resté dans l’arçon de sa selle. Ainsi armé, il marche au-devant de ses ennemis. Il a à ce moment, ont-ils déclaré plus tard, l’air d’un lion ! Ils sont cinquante, ils n’osent pas s’approcher de lui pour l’attaquer ; ils lui lancent de loin leurs zagaies. Le Prince en saisit une, il l’a peut-être arrachée de son bras blessé, il la brandit dans sa main droite. Il tire trois coups de revolver sur les Zoulous sans en toucher aucun. Alors l’un d’eux, Zabanga, l’atteint à la poitrine. Il tombe. Les noirs se précipitent. Tout est fini. Le combat n’a pas duré une minute. Alors ils le dépouillent, ils partagent ses vêtements, mais, soit respect superstitieux de ce qu’ils prennent pour des fétiches, soit plutôt, comme ils l’ont dit eux-mêmes, admiration pour le courage extraordinaire du jeune chef blanc, ils lui laissent le collier de médailles qu’il porte au cou, puis ils s’éloignent.

 

A quelques pas de là, deux autres morts, l’un tué par la première décharge, l’autre zagayé par les Zoulous.

 

La nuit descend, rapide, comme elle l’est toujours dans ces climats, elle enveloppe le donga d’obscurité et de silence. Il est là, seul, nu et abandonné, celui que nous avions entouré de tant d’affection, celui sur le sommeil duquel tant d’êtres dévoués avaient veillé avec amour pendant toute son enfance.

 

Un grand artiste l’a représenté ainsi, et il a fait surgir à l’horizon vague, comme les fantômes d’un rêve, la silhouette de la Colonne, et celle de Notre-Dame qui avaient assisté à son entrée dans la vie et qui reviennent planer, comme les dieux antiques, sur le dernier acte de la tragédie.

 

Mais je m’en tiens à la réalité, et je ne vois, au-dessus de sa tête, que la morne et indifférente splendeur du ciel austral et de ses constellations inconnues.

 

Vers le matin, la lune se lève et vient effleurer le visage du Prince endormi. Je ne vous dirai rien de la journée qui suivit, ni de la découverte du corps par l’armée anglaise ni des honneurs rendus au cercueil dans son solennel retour vers l’Europe ; je ne vous raconterai pas ses émouvantes funérailles, ni le jugement de l’homme qui avait mission de veiller sur lui et qui l’a abandonné sans tenter un seul effort pour le sauver. Mais je vous demande cependant de rester encore un instant avec moi dans ce fatal ravin, ou plutôt d’y retourner l’année suivante, lorsque revient la nuit du 1er au 2 juin. Vous y verrez une femme en deuil, c’est celle dont le cœur est brisé, celle qui a tout perdu en perdant son fils. Elle est venue souffrir là où il a souffert, mêler au moins ses larmes au sang dont il a arrosé cette terre. Elle est seule, elle pleure et elle prie ! De temps en temps, sur la crête du ravin, une main écarte les herbes, une tête noire apparaît qui fixe sur l’étrangère un regard curieux et étonné, mais où il entre peut-être de la sympathie et du respect. La nuit touche à sa fin. Quoiqu’il n’y ait aucun vent, la flamme des cierges se couche comme sous un souffle invisible. « Est-ce toi, murmure la mère ? Tu veux que je me retire ? ».

 

Ainsi se termine la veillée funèbre.

 

Eh bien ! moi aussi, Messieurs, lorsque je descends dans la crypte de Farnborough où il repose, j’essaie de rentrer en communication avec le mort aimé, j’interroge la tombe, voici ce qu’elle me répond, et c’est cette voix qui parlera aujourd’hui la dernière :

 

« Ne me plaignez pas de n’avoir point régné ! Ne me plaignez pas d’être tombé si jeune les armes à la main ! Plaignez-moi seulement, oh ! plaignez-moi de n’avoir pu mourir pour la France ! ».

 

 

Augustin FILON

 

 

[« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 315 à 317]

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9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 08:55

Cette vie l’enivra, comme ses lettres en font foi. Dans l’intervalle de ses courses périlleuses, il rédigeait des rapports qui furent très appréciés. J’ai eu entre les mains le projet de construction d’un fort destiné à assurer les communications de l’armée avec sa base d’opérations. Des juges très compétents ont déclaré ce travail hors ligne, autant par l’attention donnée au moindre détail que par l’originalité des vues.

 

C’est dans la matinée du 1er juin 1879 que les deux corps d’armée devaient franchir la frontière et camper à Itélési. Le Prince était chargé d’aller en avant et d’explorer la contrée afin de choisir la place du second camp. Dans la soirée du 31 mai, un autre officier, attaché au même service, le capitaine Carey, vint trouver le colonel Harrison, et lui demanda la permission d’accompagner le Prince pour rectifier, disait-il, des erreurs, ou combler une lacune dans ses propres cartes. « Très bien, dit le colonel, vous commanderez l’escorte et vous veillerez à la sûreté du Prince. Si vous ne vous étiez pas présenté, j’aurais choisi pour cela un autre officier ». Notez ce mot qui précise la situation. Le Prince pouvait être chargé d’une mission de haute importance, mais comme il n’était pas officier anglais, il ne pouvait pas commander à un seul homme. Il n’y a pas de doute possible là-dessus. Le Prince, d’ailleurs, joint son témoignage à celui du colonel Harrison, puisque les derniers mots qu’il ait écrits sur son carnet, sont ceux-ci : escort under captain Carey. De ce même carnet il arrache une autre feuille, et il y griffonne quelques lignes, derniers souvenirs à sa mère avant d’entrer définitivement en campagne. A neuf heures, on se met en route. La petite troupe se compose du Prince, du capitaine Carey, de six hommes empruntés au corps irrégulier de Bettington, et d’un Cafre qui doit servir de guide, et auquel le Prince a prêté un de ses chevaux. L’escorte devait encore comprendre six Basutos, mais ils ne sont pas là, on ne les attend pas, ils rejoindront plus tard … Ils n’ont jamais rejoint.

 

On dépasse Itélési, on galope jusqu’à un kraal situé quelques milles plus loin. Devant les huttes s’étend une place libre, propice à une halte. Alentour, de grandes herbes et de hautes tiges de maïs ; à quelque distance, un donga, c’est-à-dire un ravin où coule l’Ilyothiosi, un torrent dont le volume varie suivant les saisons. S’arrêtera-t-on dans ce lieu ? Les huttes sont désertes, mais des chiens rôdent aux environs, signe certain que les Zoulous ne sont pas loin. Cependant Carey déclare l’endroit assez sûr pour une halte. On desselle les chevaux, on les lâche à travers le maïs où ils broutent avidement ; on envoie le Cafre chercher de l’eau, les hommes font le café, les officiers, assis à l’écart, causent ensemble. De quoi parlent-ils, de quoi parlerait le Prince, si ce n’est de guerre et de Napoléon ! C’est la campagne de 1796 qui est, ce jour-là, le thème de la conversation. Le Prince fait aussi quelques dessins qui pourront prendre place dans son rapport. Il est quatre heures moins un quart, le soleil décline ; le Cafre, qui est retourné au donga, rapporte qu’il a aperçu un Zoulou sur l’autre rive. Alors on se prépare au départ, on selle les chevaux, et, devançant le commandement, quelques-uns des hommes sont déjà à cheval, lorsque, tout à coup, des hautes herbes, les noirs en grand nombre, poussant leur cri de guerre, apparaissent. Ceux d’entre eux qui sont munis de fusils tirent presque à bout portant sur la petite troupe ; suit un moment de confusion, les chevaux se cabrent. Quelqu’un donne-t-il le signal de départ ? Je ne sais. Mais ceux qui sont déjà montés prennent le galop, Carrey en tête. Le cheval du Prince est un cheval de sang, plus nerveux que les autres, il continue à bondir, à ruer, et malgré son expérience, son habileté de cavalier consommé, le Prince ne peut réussir à se mettre en selle …

 

 

[« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 313 & 314]

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 07:31

Dans l’été de 1878, il fit, dans les Cours du Nord, un voyage au cours duquel il fut reçu (l’expression lui appartient) comme si son père avait encore été sur le trône. L’issue pacifique et légale du 16 Mai l’avait surpris, la retraite du maréchal et son remplacement par M. Grévy, qui eut lieu, à la fin de janvier 1879, sans commotion, sans émotion, l’étonne encore davantage. Il se dit alors que son heure n’était pas encore venue et qu’il fallait chercher d’autres moyens de rappeler au monde que les Bonaparte avaient un héritier. Il ne lui plaisait pas de courir l’Europe à la recherche d’un beau mariage en regardant toutes les princesses sous le nez (c’est un mot que je trouve dans une de ses lettres). Il était un peu las de cette agitation stérile, un peu las de son métier de prétendant toujours prêt à entrer en scène et n’y entrant jamais, tiraillé entre les bonapartistes de droite et les bonapartistes de gauche ; tous le présentaient à la France comme un sauveur et un maître, mais ils regimbaient contre son autorité et le traitaient en petit garçon lorsque ses ordres n’étaient pas d’accord avec leurs vues personnelles.

 

A ce moment éclata la guerre dans l’Afrique du Sud. Une peuplade nègre, sans discipline et presque sans armes, avait enveloppé et annihilé une petite armée anglaise. L’Angleterre devait à tout prix venger ce désastre en soumettant les vainqueurs d’Isanduela.

 

L’un après l’autre tous les officiers de sa batterie partirent pour l’Afrique, et le Prince crut qu’il y allait de son honneur de ne pas rester derrière eux. La vérité est que, soldat dans l’âme, son instinct le poussait à courir là où l’on se battait ; il avait la fièvre, la passion de la guerre. Il écrivait quelques mois auparavant à son ami, le capitaine Bigge, aujourd’hui sir Arthur Bigge, secrétaire de Georges V : « J’ai soif de sentir la poudre ! ». Il est tout entier dans ce mot-là. Aussi sa mère fit-elle des efforts désespérés pour le retenir, et tous ses amis de France joignirent leurs instances aux siennes ; ses amis anglais, au contraire, le poussaient à partir. Il ne faut pas trop leur en vouloir : ils croyaient que le prince irait là-bas en touriste, en sportsman. Ils ne connaissaient pas, comme l’impératrice, cette nature avide de danger jusqu’à la folie, ils ne savaient pas que, n’y eût-il qu’un poste périlleux, il trouverait moyen d’y être. Aussi étaient-ils tous sans inquiétude. Mais sa mère ne connut pas une heure de joie, pas une minute de paix après son départ, et son vieux serviteur, Uhlmann, au moment où il s’embarquait avec lui pour l’Afrique, disait au baron Corvisart : « Ah ! vous pouvez bien lui dire adieu, vous ne le reverrez plus ! ».

 

C’était le premier chagrin qu’il faisait à sa mère. Aussi s’appliqua-t-il, lui, un peu paresseux d’ordinaire, à écrire, à se montrer le plus régulier, le plus abondant et le plus tendre des correspondants. Il raconta à sa mère les incidents de son voyage dans de jolies lettres illustrées de charmants croquis. Au Cap, à Durban, à Maritzbourg, il fut l’objet d’ovations enthousiastes. Un léger accès de fièvre, par lequel il paya son tribut au climat, l’empêcha d’abord de prendre part aux opérations. « Je suis, écrivait-il à l’Impératrice, comme un cheval de troupe attelé à la charrue et qui entend sonner la charge ». La charrue, c’était une batterie d’artillerie qu’on ne se pressait pas d’envoyer sur le théâtre de l’action, aussi réussit-il à se faire attacher à l’état-major général, et en particulier au colonel Harrison chargé du service le plus actif de l’armée, celui des reconnaissances en pays ennemi, en vue de choisir le site des campements …

 

 

[« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 311 & 312]

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 07:38

Le Prince passa une partie de l’été de 1875 au camp d’Aldershot où il fut attaché à une batterie, et fit connaissance avec de nouveaux camarades dont il demeura l’ami. Il eut même une première expérience de la vie sous la tente qui l’enchanta. De là il se rendit à Arenenberg, qui était son séjour favori. C’était pour lui le point de départ d’excursions intéressantes avec d’agréables compagnons, et nulle part sa gaieté exubérante ne se déployait avec plus de liberté et d’abandon, ainsi que son goût pour le péril et l’aventure.

 

Dans l’automne 1876, il accompagna sa mère en Italie ; il fit un long séjour à Florence et on devine aisément ce que l’Italie ménageait de jouissances intellectuelles et artistiques à un visiteur de ce rang et de ce tempérament ; on devine également combien il fut heureux de faire plus intime connaissance avec les membres de sa famille qui habitait l’Italie, notamment avec Joseph Primoli et Albert Roccagiovine. De Florence, il alla à Rome, et rendit visite à son parrain, le pape Pie IX. Il a raconté cette visite dans une lettre au baron Tristan Lambert, alors député de Fontainebleau. En disant adieu à son filleul qu’il ne devait plus revoir, le Pape exprima l’espoir qu’il rentrerait bientôt en France. « Je le souhaite, lui dit-il, pour vous, pour l’Eglise, pour la France, pour l’Europe ». Lorsque le Prince, au cours de cette conversation, avait dit au Souverain Pontife qu’il ne voulait pas mêler le clergé à nos luttes politiques, le Saint-Père avait approuvé.

 

Si le fils de Napoléon III n’entendait pas faire de l’Eglise un agent électoral, il réservait une grande place à la religion dans sa politique. Il était très religieux, comme le savent ceux qui ont lu l’admirable prière composée par lui et trouvée dans son paroissien ; il était plus religieux à dix-huit ans qu’à douze, plus religieux à vingt-trois ans qu’à dix-huit. A l’âge où tant de jeunes gens se détachent lentement de leurs premières croyances, il était amené, par le mouvement même de sa pensée, à s’y rattacher plus fortement tous les jours, il les sentait nécessaires pour y appuyer son idéal du souverain missionnaire qui est à la fois l’élu de Dieu et l’élu du peuple. Si l’Empire, pensait-il, perd un de ces deux caractères, s’il se confond soit avec la monarchie traditionnelle, soit avec la République, pourquoi l’Empire plutôt que la République ou la monarchie traditionnelle ! Il considérait l’Empire comme une forme nouvelle de la souveraineté appropriée aux besoins modernes, la seule, croyait-il, sous laquelle pût se constituer et s’organiser une démocratie puissante et disciplinée. C’est pourquoi il ne voulait pas se mettre à la remorque des autres partis. Tant que dura la tentative du 16 Mai, tentative qui resta jusqu’au bout quelque peu équivoque, il fit tous ses efforts pour empêcher ses partisans d’y prêter un concours aveugle ; il fut mal compris et mal obéi. Il était convaincu que le 16 Mai ne pouvait aboutir à un succès sur le terrain électoral, il croyait que la France était entraînée rapidement vers une crise sanglante, vers une explosion anarchique que le maréchal serait impuissant à conjurer. C’est alors, mais alors seulement, qu’il aurait considéré comme de son devoir d’intervenir, et je ne vous cache pas qu’il se préparait à cette éventualité. Mais jamais, je l’affirme également, il n’aurait eu rien à voir avec un complot qui aurait troublé son pays dans une heure de calme, quand même ce n’eût été qu’un calme apparent ; jamais il n’aurait pris l’initiative de la guerre civile. Si l’on vient vous dire qu’en 1878 il préparait une descente en France, je vous supplie de ne pas en croire un mot. Il savait qu’on ne peut revenir de l’Île d’Elbe que quand on a passé par Marengo et par Iéna.

 

Il avait d’ailleurs affirmé trop hautement son respect envers la volonté nationale pour se donner à lui-même un si cruel démenti …

 

 

[« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 309 & 310]

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 12:50

Quand huit heures sonnaient, j’allais au-devant de lui. Que de fois je l’ai rencontré à la place même où s’élève aujourd’hui sa statue ! Quand la nuit était sombre et que je ne pouvais le distinguer, au moment où il émergeait de la grille principale, une petite chienne noire que j’avais avec moi, et qui lui était très attachée, frémissait de joie et bondissait au-devant de lui. Et lui, alors, de sa voix de clairon, lançait dans la nuit un de ces vieux chants de l’armée d’Afrique que ses officiers lui avaient appris, et il arrivait auprès de moi le visage éclairé d’un gai sourire, car, me retrouver, c’était retrouver la France après sa journée anglaise.

 

Quand il avait soupé avec un appétit qui faisait l’admiration et l’inquiétude de son valet de chambre, nous montions dans le petit salon meublé en reps vert, dont un vieux piano et quelques potiches étaient le seul luxe. Alors il demandait des nouvelles de France, et tout en jouant avec les oreilles du chien, ou en tourmentant les touches du piano, il écoutait la lecture des lettres que j’avais reçues pour lui dans la journée et des fragments de journaux étalés sur la table ; puis, des faits du jour, la conversation remontait à des idées plus générales, nous quittions le présent pour faire des retours vers le passé, ou des excursions vers l’avenir. Quelquefois nous sortions, dans les beaux soirs d’été, et nous marchions sous le ciel étoilé à travers la campagne silencieuse en continuant la conversation commencée. Dans ces moments-là, l’artiste qu’il étouffait en lui pour ne pas faire tort à l’homme d’Etat et au prétendant, avait des réveils soudains. Il s’interrompait d’un mot, d’un geste. Je me souviens qu’un soir, apercevant à travers des arbres, aux troncs tordus, un blanc rayon de lune qui glissait sur la Tamise, parmi des vapeurs bleuâtres, il me serra le bras en disant : « Un Gustave Doré ! ». Puis il se remit à parler de ce qu’il ferait s’il rentrait en France.

 

Le souvenir de ce temps-là m’est bien précieux, mais je ne m’exagère pas le rôle que j’ai joué. On me dit quelquefois : « Vous avez formé le Prince ! ». Cette louange me serait bien douce si je l’avais méritée, mais je n’ai pas formé le Prince, personne n’a formé le Prince, le Prince s’est formé lui-même. Ce qu’il ne devait pas à son effort personnel, il le devait à l’hérédité paternelle et maternelle. Ma tâche – tâche très modeste, mais utile cependant, je le crois – fut d’aider au développement de cette double hérédité, d’approvisionner son esprit de faits et d’idées, d’aiguiser ses facultés logiques, et, enfin, de lui donner l’expression, l’instrument, l’organe dont sa pensée avait besoin. Ai-je réussi ? Ceux qui ont lu ses discours en français et en anglais, ceux qui liront plus tard sa correspondance, lorsqu’elle sera publiée intégralement, en jugeront.

 

Au mois de février 1875, le Prince quittait l’Académie royale militaire de Woolwich. Comme il l’écrivait à Rouher, il était classé le septième, mais il avait été le premier dans les derniers examens. Il retourna alors vivre auprès de sa mère à Chislehurst, et c’est à ce moment que je me séparais de lui. Je comptais bien être encore utile, de près ou de loin, à ses études ultérieures, et je le revis plusieurs fois, en 1875 et 1876. Mais alors une cruelle maladie me cloua en France, et pendant les deux années qui suivirent nous ne communiquâmes que par lettres.

 

Ces réminiscences devraient donc s’arrêter ici, si mon ami, M. Franceschini Piétri, n’avait mis ses propres souvenirs à ma disposition : je ne peux prononcer ce nom sans rendre hommage à une fidélité de plus de cinquante-deux années, elle fait grand honneur à celui qui nous en donne l’exemple ; elle n’en fait pas moins à ceux qui en ont été tour à tour l’objet.

 

D’ailleurs, je dois à une auguste bienveillance, dont je suis très reconnaissant et très fier, d’avoir pu lire cette correspondance dont je vous parlais il n’y a qu’un moment, correspondance particulière, correspondance politique, et surtout ses lettres à sa mère qui révèlent si bien sa personnalité intime. J’en donnerai de nombreux extraits dans le livre que j’écris en ce moment sur mon ancien élève (*) ; je ne veux leur emprunter aujourd’hui qu’un fil conducteur pour arriver jusqu’à la catastrophe …

 

 

                                                           

 

(*) « Le Prince Impérial, souvenirs et documents », par Augustin Filon, 1912. Hachette, in-40 illustré.

 

 

[« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 307 & 308]

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1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 10:17

Les occasions ne lui manquèrent pas pour s’affirmer et pour déployer ses qualités nouvelles. Cette année 1873 fut une année mémorable : elle vit mourir Napoléon III en exil, elle vit Thiers renversé et remplacé par le maréchal de Mac-Mahon ; elle vit la visite du comte de Paris au comte de Chambord, visite qui réalisait la fusion attendue depuis vingt-trois ans ; elle vit enfin avorter la tentative de restauration monarchique. Dans ces circonstances, le Prince ne pouvait rester silencieux. Dès le 15 août 1873, devant une foule d’amis accourus de France, il avait prononcé quelques paroles qui replaçaient la politique impérialiste sur ses véritables bases démocratiques.

 

Le 16 mars 1874, lorsqu’il accomplit ses dix-huit ans, sa majorité politique fut proclamée à Chislehurst par des milliers de Français représentant les comités de l’Appel au peuple. Ce jour-là, une tente immense fut dressée dans le parc, et contint à grand’peine la foule. Le Prince, sur une estrade, bien en vue, écouta une adresse que lui lut, au nom des comités, le duc de Padoue ; puis il prononça un discours-manifeste qui était appelé à un grand retentissement. Ce discours, il l’avait composé lui-même ; j’y avais fait quelques corrections de professeur, Rouher avait interverti deux membres de phrase et suggéré un mot. Le Prince prononça son discours d’une voix forte et sonore. Lorsqu’il dit ces paroles : « Le plébiscite, c’est le salut et c’est le droit », il mit dans ces derniers mots un tel accent de virile énergie, qu’il souleva toute cette multitude. J’étais au fond de la tente, le plus lointain et le plus anxieux des spectateurs, et je sentis une vague d’enthousiasme qui arrivait jusqu’à moi à travers toutes ces poitrines émues d’où jaillit le cri de « Vive l’Empereur ! ».

 

La fin du discours fut un triomphe continuel. Quand il passa la revue des délégations départementales, il eut des mots heureux. Une dame de la Halle, Mme Lebon, lui dit : « Ah ! monseigneur, je vous ai embrassé dans votre berceau deux jours après votre naissance ! – Eh bien ! madame Lebon, dit gaiement le Prince, je vais vous rendre ce baiser-là ».

 

Un légitimiste de Bordeaux lui dit : « Monseigneur, puisque M. le comte de Chambord ne peut pas ou ne veut pas régner, je vous apporte ma foi et mon hommage. – Je les accepte » dit le Prince. Et se tournant vers son état-major d’anciens ministres (il y en avait, ce jour-là, de quoi former  deux ou trois cabinets), il ajouta : « Messieurs, voilà la vraie Fusion ».

 

Le lendemain, les journaux du monde entier commentaient ce qu’on appela « la déclaration de Chislehurst ». Je la caractérisai seulement d’un mot : jamais souverain moderne, jamais prétendant, jamais orateur populaire n’a élevé si haut la volonté nationale, au-dessus des intérêts de parti et des ambitions individuelles.

 

Quelques jours après nous rentrions à Woolwich, dans cette petite maison située sur le Common dont le souvenir m’est si cher parce que j’y ai vu s’épanouir cette noble intelligence, dont j’avais douté à certaines heures, et qui, alors, démentait toutes mes inquiétudes et dépassait toutes mes espérances. Il me quittait de bonne heure, le matin, pour aller reprendre ses travaux à l’Académie ; à deux heures j’allais le joindre dans le petit appartement qu’on lui avait réservé à l’Ecole, et là nous causions. Nous causions des grands évènements de la révolution et de l’Empire, de l’évolution de nos institutions politiques au dix-neuvième siècle. Puis, il retournait à ses études militaires …

 

 

 [« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 305 & 306]

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 07:51

L’Empereur l’attendait à Verviers où il se trouvait alors en route pour Wilhelmshöhe, mais informé de l’état de prostration physique et morale où se trouvait le Prince, il se refusa la consolation de l’embrasser, et ainsi fut épargné à l’enfant la douleur de voir son père sous la garde d’un général prussien.

 

Sur l’ordre de l’Empereur, il partit immédiatement pour l’Angleterre. Quelques jours après sa mère le rejoignait à Hastings … et avant la fin de ce même mois de septembre, tous deux étaient installés à Camden place, au village de Chislehurst, près de Londres.

 

Le temps me manque pour vous décrire cette maison de l’exil qui allait être le séjour de la famille impériale pendant près de dix ans, le centre des espérances de tous ceux qui les aimaient, et le point de mire de leurs adversaires. J’y réorganisai de mon mieux les études du Prince, je lui donnai un professeur d’allemand, un professeur de mathématiques, je me chargeai de l’histoire et du français. Il suivit pendant quelques temps, à Londres, les cours du King’s College. Lorsque, dans l’été de 1872, il fut question de le faire rentrer à l’Académie royale militaire de Woolwich où se forment les officiers d’artillerie, cette idée le stimula à un point qui me surprit moi-même, et je le vis travailler avec une ardeur, une obstination que je ne lui avais jamais connues.

 

Au mois de novembre, nous allions nous installer à Woolwich, mais le Prince, admis à la suite d’un examen sommaire, s’aperçut bien vite qu’il aurait grand’ peine à suivre ces cours destinés à des jeunes gens plus âgés, et dont les études préparatoires avaient été beaucoup plus longues. D’ailleurs il était troublé dans son travail par l’inquiétude que lui donnait la santé de son père, alors placé entre les mains des médecins et des chirurgiens anglais. Déjà deux opérations avaient eu lieu.

 

Le matin du 9 janvier 1873, le Prince était en classe lorsque le comte Clary le fit demander. Il arrivait en hâte de Chislehurst où des symptômes inquiétants s’étaient produits. Le Prince partit immédiatement avec lui, et en descendant de voiture, il lut sur la figure de Conneau et de Corvisart que tout était fini. Alors il monta l’escalier, pénétra dans la chambre mortuaire, s’agenouilla près du lit où Napoléon III était étendu sans vie et prononça à voix haute la prière que le Christ nous a apprise et qui revient sur les lèvres de tous ceux qui souffrent : « Notre Père qui êtes aux Cieux … ». Du père qu’il avait perdu, sa pensée remontait vers Celui qu’il ne pouvait perdre, et se réfugiait dans ses bras.

 

Il était un enfant lorsqu’il s’était agenouillé ; lorsqu’il se releva, il était un homme.

 

Il m’écrivait un peu plus tard : « Lorsque j’ai perdu mon père, mon devoir m’est apparu clairement ; je n’ai plus eu qu’une pensée, qu’un but dans la vie : continuer son œuvre, et je marche toujours droit devant moi sans regarder en arrière ».

 

C’était vrai, et ce témoignage qu’il se donnait à lui-même je puis le confirmer. A dater de ce jour, il fut tout entier à la mission que son nom lui imposait. Non seulement il me stupéfia par son zèle acharné au travail, remontant des derniers rangs aux premiers parmi ses camarades, reprenant l’une après l’autre toutes les études négligées autrefois, en abordant de nouvelles, les menant toutes de front, mais il sacrifia tout à son nouveau devoir : son repos, sa liberté, très souvent ses plaisirs, et jusqu’à ses goûts artistiques qui lui tenaient tant au cœur. L’enfant qui ajournait indéfiniment une lettre de jour de l’an, qui bégayait en rougissant un toast de vingt mots, s’improvisa en deux orateur et écrivain …

 

 

 [« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 303 & 304]

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25 février 2011 5 25 /02 /février /2011 10:04

Sarrebruck fut la dernière joie du Prince. Le 6 août au soir, la nouvelle de notre double défaite tomba sur lui comme un coup de massue. Huit jours après, l’Empereur se démettait de ses fonctions de généralissime, et emmenait avec lui le Prince à Verdun d’abord, puis à Châlons où ils arrivèrent le 17, aux premières lueurs du jour, dans un wagon de troisième, tandis que leurs officiers avaient dû s’accommoder de wagons à bestiaux.

 

Lorsque l’armée reprit la route du Nord, l’Empereur voulut mettre son fils à l’abri du choc terrible qu’il prévoyait. Il se sépara donc de lui à Rethel, le 28 août.

 

Ici commencent les pérégrinations douloureuses du Prince Impérial à travers nos petites places du Nord-Est. Ce sont les stations de son calvaire, c’est sa part dans la grande épreuve. Représentez-vous le pauvre Prince envoyé à Mézières par un ordre de son père, puis de Mézières à Sedan par un contrordre ; renvoyé de Sedan à Mézières, par une panique qui éclate dans la première de ces deux villes et qui est l’avant-coureur d’un danger trop réel, chassé de Mézières par une fermentation populaire qui inquiète son entourage, se réfugiant à Avesnes, puis à Landrecies, puis à Maubeuge, ici acclamé, là froidement reçu, presque ignoré, ne comprenant rien à ces ovations intempestives ni à ces départs précipités, parlant de se défendre partout où il s’arrête, mais surtout demandant, implorant des nouvelles qu’on ne peut lui donner, car on ne sait rien, ni là où il est, ni à Paris.

 

L’Empereur et son armée ont comme disparu derrière un brouillard, - d’où ne sort plus aucun message, - et qui les isole du reste du monde.

 

Le Prince reçoit l’hospitalité, à Avesnes, dans une maison pleine de souvenirs et de pressentiments, car c’est là qu’en juin 1815, au moment de passer la frontière, Napoléon avait daté son dernier bulletin. Ainsi, la veille de Sedan rejoint la veille de Waterloo.

 

La journée du 1er septembre voit la dernière promenade du Prince, en voiture, sur la terre de France. Il entend tonner le canon dans la direction des Ardennes. Serait-ce un canon de victoire ? Hélas ! Vous savez que non ! Pendant qu’il traverse le village de Saint-Hilaire aux cris de « Vive le Petit Prince ! ». L’Empereur est là-bas, sous une pluie d’obus, attendant, cherchant la mort qui a parfois un terrible esprit de contradiction.

 

Le 4 septembre au matin, le Prince se trouve dans la maison de Mme Marchand, veuve du sénateur ; c’est là qu’il apprend, par la proclamation des ministres, toute l’étendue de son malheur et du nôtre. Aussi, les acclamations de la foule, amassée devant la maison Marchand, ne peuvent-elles plus l’attirer au balcon. D’ailleurs les dispositions de cette foule peu à peu deviennent équivoques, le reste de la ville est en proie à une agitation révolutionnaire. A trois heures et demie, le commandant Duperré reçoit une dépêche que je lui adresse sur l’ordre de l’Impératrice ; c’est cette dépêche qui a été traduite ainsi par les hommes d’esprit du nouveau régime : « Filons sur Belgique. – Filon ». En réalité, c’était une dépêche chiffrée qui disait : « Partez immédiatement pour Belgique ». Au reçu de ce télégramme, le Prince, avec un affreux serrement de cœur, quitte son uniforme, revêt des vêtements bourgeois, sort de la maison Marchand par la porte du jardin qui donne sur une rue déserte et monte en voiture après avoir embrassé le brave et fidèle Vatrin, commandant de son escorte de Cent-Gardes.

 

Un quart d’heure après il a quitté la ville et le territoire …

 

 

 [« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 301 & 302]

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 07:43

Cet incident eut des conséquences : il fit disparaître cette pauvre apparence d’éducation commune rêvée par le général Frossard, et, à partir de ce jour, le Prince fut comme prisonnier dans les Tuileries avec ses éducateurs particuliers et ses amis personnels.

 

Je ne veux pas quitter ce cabinet d’étude sans vous faire assister à une scène historique dont je fus, avec Louis Conneau, l’unique témoin. C’était dans l’après-midi du 9 mai 1870. Le Prince était au travail, tout était silencieux, lorsque, tout à coup, la porte s’ouvrit à deux battants, et le vieil huissier, M. Lefèvre, cria de sa plus belle voix : « L’Empereur ! L’Impératrice ! ». En effet, les souverains s’avançaient lentement dans le salon voisin, se donnant le bras, les yeux fixés de loin sur le Prince, comme pour jouir d’avance de la joie qu’ils lui apportaient : « Tiens, Louis, dit l’Empereur en lui tendant un papier, voilà les derniers chiffres du plébiscite ! ». Il y jeta les yeux et se jeta au cou de ses parents.

 

Il y avait encore un peu de doute et de mélancolie sur la figure de l’Impératrice, mais celle de l’Empereur était rayonnante et j’y lisai clairement sa pensée : « Mon enfant, tu es sacré par ce plébiscite ! L’Empire libéral, ce n’est pas moi, c’est toi ! ».

 

Rien ne manquait à cette scène, pas même la présence du fondateur de la dynastie, car derrière eux, dans une armoire vitrée, où j’avais eu l’honneur de les ranger, j’apercevais les reliques de Sainte-Hélène, le dernier petit chapeau, la dernière redingote grise et l’épée de Napoléon qui reluisaient vaguement dans l’ombre.

 

Le père et le fils se regardèrent longuement comme en extase : ils croyaient la dynastie fondée, et ils n’avaient pas tort, car une seule chose pouvait renverser l’Empire, une guerre malheureuse. Or, deux mois après nous avions la guerre, trois mois après nous étions en plein désastre.

 

Je ne vous étonnerai pas, Messieurs, en vous disant que parmi les hôtes du palais de Saint-Cloud, en juillet 1870, aucun ne vit venir la guerre avec plus de joie que le Prince Impérial, surtout quand il sut qu’il devait accompagner son père à l’armée. Quelle émotion pour lui, comme pour nous tous d’ailleurs, lorsque, un soir, à la fin d’un grand dîner donné dans la galerie de Diane, la musique des grenadiers de la Garde attaqua un air que nous reconnûmes dès la première note, quoique nous ne l’eussions pas entendu depuis dix huit ans. Vous devinez quel était cet air : la Marseillaise. Dès le soir, le Prince la chantait dans le parc avec ses amis. Comment la savait-il, qui la lui avait apprise ? Je crois vraiment que, depuis la Révolution, les Français de tous les rangs et de toutes les opinions savent la Marseillaise de naissance, et que cet air, dont on aime à oublier les paroles, fait partie de nous-mêmes, qu’il s’identifie avec notre sentiment national, avec la conscience d’être Français.

 

Quelques jours après, le Prince l’entendit à Sarrebruck joué par toutes les musiques militaires et répété en chœur par les soldats. « C’était très beau », m’écrivait-il le lendemain, dans une lettre où il me racontait, sans en exagérer aucunement l’importance, les phases de ce petit combat. De son côté, l’Empereur envoya un télégramme à l’Impératrice où il lui disait que « Louis avait reçu le baptême du feu et qu’il avait fait l’admiration des vieux soldats ». L’un d’eux lui avait apporté comme souvenir une balle morte tombée près de lui. Ce télégramme, uniquement destiné à l’Impératrice, où Napoléon III laissait parler sa fierté paternelle, fut imprimé dans les journaux et fournit à une presse hostile un texte de raillerie qui n’était pas épuisé lorsque le Prince partit pour le Zoulouland. Cette balle ramassée sur le champ de bataille de Sarrebruck, ils l’ont ramassée à leur tour et ils la lui ont jetée à la face pendant neuf ans ! …

 

 

 [« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 299 & 300]

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23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 07:48

Une grande salle, qui donnait sur le quai, servait aux jeux du Prince et de ses amis lorsque le temps ne permettait pas la sortie. Au carnaval de 1870, - car cette année-là eut un carnaval comme les années ordinaires, - on dressa un théâtre dans cette salle, le Prince y joua la Grammaire, l’innocente et spirituelle comédie de Labiche, avec ses amis Espinasse, Conneau, Bourgoing et Maxime Frossard, celui-ci déguisé en fille. Le général Frossard avait tenu à surveiller lui-même toutes les répétitions et s’était amusé à coudre au dénouement des couplets que les jeunes acteurs vinrent chanter l’un après l’autre, près de la rampe, sur l’air alors très populaire des Pompiers de Nanterre. Le Prince partagea avec son ami Espinasse les bravos très mérités qui accueillirent les eux antiquaires de province, la Gloire d’Etampes et la Lumière d’Arpajon.

 

Le Prince, qui avait déjà un si joli coup de crayon et un talent naturel pour la parodie, fit, ce soir-là, de sa personne, une caricature en action ; il fut étonnant de bouffissure naïve et d’honnête charlatanisme. On applaudit, on rit beaucoup ; mettez, si vous voulez, les applaudissements sur le compte de la flatterie, mais le rire est plus sincère, et ce fut un vrai succès.

 

Entrons maintenant dans la pièce voisine qui était le cabinet d’étude du Prince et qui formait le coin du pavillon. Deux fenêtres regardaient le Pont-Royal ; devant la troisième s’allongeait la perspective de la Seine, d’un côté les masses sombres des Tuileries, de l’autre côté, cette rangée de palais que dominait le dôme des Invalides étincelant au soleil sous sa dorure toute fraîche. Le Prince travaillait devant cette fenêtre, et il est probable que bien souvent ses yeux quittèrent les textes ennuyeux auxquels je tâchais d’enchaîner son attention, pour se reposer ou s’égarer sur ce tableau de splendeur et de beauté unique dans le monde, et qui devait suggérer tant de rêverie et de réflexions au petit-neveu de Napoléon. De l’autre côté de la table, en face de lui, le professeur du jour prenait place. J’ai vu s’asseoir sur cette chaise l’abbé Deguerry, le futur martyr de la Commune, qui a probablement payé de sa vie l’honneur d’avoir fait l’éducation religieuse du prince. J’y ai vu s’asseoir Ernest Lavisse, alors tout jeune, dont la parole claire, précise et mordante, pénétrait profondément dans l’esprit du Prince. Rien ne contribua mieux à mûrir sa pensée que ces belles leçons dont il se souvint plus tard lorsqu’il rechercha les conseils et l’amitié de son ancien maître. D’autres encore sont venus là qui ne jouissaient pas de la même notoriété mais qui avaient certainement le même dévouement.

 

Pourquoi vous cacherai-je que le Prince ne montrait pas un goût très vif pour les études classiques ? Cependant, pendant la première année, le nouveau système, inauguré par le général Frossard, donna d’assez bons résultats. Un professeur du lycée Bonaparte, l’excellent et modeste Edeline, le faisait composer avec ses élèves, et le Prince, stimulé par l’illusion d’avoir des camarades, fit quelques efforts. Ayant été premier en arithmétique, il assista à la Saint-Charlemagne du lycée ; il y fut bien reçu. C’est ce qui encouragea Victor Duruy, pour le mettre en contact avec la jeunesse, à prier l’Empereur de le laisser assister à la distribution des prix du concours général. Ah ! ce jour-là nous faillîmes avoir un beau spectacle, un de ces spectacles que nos fureurs politiques nous donnent rarement l’occasion de contempler ! Le fils de Napoléon III embrassant le fils de Cavaignac ! Je vois encore mon pauvre petit Prince, debout, les bras ouverts, souriant, la couronne à la main. Vous savez que nous fûmes tous déçus et qu’un geste impérieux cloua sur son banc le fils du dictateur républicain, de 1848. Les applaudissements auxquels nous nous étions joints d’abord prirent, en se prolongeant, un caractère ironique et provocant. Le Prince se rassit les larmes aux yeux …

 

 

 [« Le Prince Impérial », La Revue hebdomadaire – 1911/03 – p. 297 & 298]

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