Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 08:12

[la Revue des Deux Mondes – 1er avril 1929 in "Une correspondance inédite : le Prince Impérial et Ernest Lavisse" p. 574  à 577]

 

 

Samedi, 18 février 1877

 

 

« Monseigneur,

 

Je commencerai par remercier Votre Altesse de la peine qu’elle a prise de m’écrire une si longue lettre, et de la franchise absolue avec laquelle elle s’est exprimée. J’ai dit à Clary que cette lettre m’avait fait à la fois peine et plaisir. Je commencerai par dire ce qui m’a fait de la peine. Il y a des mots bien durs dans cette lettre. Il est possible que le journal ait commis des fautes ; mais j’espérais que Votre Altesse s’intéresserait assez à la tentative et aux efforts qui ont été faits, pour ne point dire sèchement : « Je n’ai point à m’occuper des difficultés que l’on a rencontrées ; je n’ai qu’à constater les résultat ». Cela revient à dire, Monseigneur, que vous êtes indifférent aux bonnes intentions et à la bonne volonté de vos serviteurs, et qu’il n’est pas permis de vous parler des ennuis et des obstacles qu’on trouve sur son chemin dans votre service.

 

C’est beaucoup que la bonne intention, Monseigneur, et cela seul mérite déjà d’être récompensé. Voulez-vous me permettre de vous confier une inquiétude ? Je crains que vous ne croyiez guère au désintéressement. Il est difficile de vous prouver qu’on vous sert, par dévouement à une cause que l’on croit juste et par affection pour vous, parce que vous pouvez toujours croire que l’on compte sur l’avenir. En ce qui me concerne, c’est sur l’avenir que je compte pour vous prouver mon désintéressement absolu. Et je n’ai aucune raison pour croire que mes amis ne me valent pas. Dès lors, ne pensez-vous pas que vous deviez au moins quelques bonnes parole à ceux qui portent, ou qui, du moins, croient porter votre drapeau dans la mêlée ?

 

Ne m’en veuillez pas, mon Prince, de ne pas vous avoir reconnu dans la lettre à M. Béhic. Je ne vous savais pas ce ton sèchement impératif, que je retrouve dans la lettre que vous m’avez écrite. Franchement, je ne crois pas que ce ton soit nécessaire. La politique devant nécessairement vous ramener les esprits, votre rôle est de gagner les cœurs. Les mots comme « ma pensée », comme « désobéir à mes instructions » me paraissent ou trop solennels ou trop durs. Napoléon Ier ne s’en est pas servi avant le Consulat, et notre Empereur avait la main douce, alors même qu’elle était le plus ferme. J’aime les poignets de fer, mais aussi les gants de velours.

 

Pour vous parler une dernière fois du journal qui va disparaître, je rappellerai à Votre Altesse que jamais je ne lui ai demandé de l’adopter publiquement et officiellement. Je crois qu’il faut que vous soyez au-dessus de tous et, quelle que soit mon affection pour mes amis, je suis absolument incapable de sacrifier à cette affection la moindre parcelle de l’intérêt de votre service. Ce que j’espérais, c’est que ce journal, rédigé avec talent, par des hommes nouveaux, serait suivi par vous avec une sollicitude de tous les jours. Je persiste à croire qu’avec les idées très nettes et très justes que vous avez sur les devoirs d’un journal du parti, vous étiez parfaitement en état de le diriger et de l’avertir de ses erreurs, s’il en commettait. Deux ou trois lettres de vous auraient produit un effet immédiat. Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une prière à vous adresser, c’est que vous ne laissiez pas croire à mes amis qu’ils ont encouru une disgrâce, comme cela semble ressortir de la lettre que vous m’avez écrite, et que je n’ai point voulu leur lire, parce que j’y ai trouvé un sentiment qui ressemble à de l’ingratitude.

 

Laissez-moi dire maintenant ce qui m’a fait plaisir dans votre lettre. C’est la netteté, et cette forte façon de dire qui montre la vigueur de votre pensée. C’est bien la qualité maîtresse qu’il vous faut avoir. Seulement, ne cachez pas votre cœur, qui est excellent, et ne mettez pas d’amour-propre à faire croire que vous n’avez pas de sensibilité. Ce n’est pas trop que la collaboration de votre cœur et de votre esprit. Votre tâche est d’une énorme difficulté. Ici, le désarroi est très grand. La République est pleine de menaces. Les hommes sont très petits, les idées n’existent pas, rien ne s’annonce, nous sommes frappés de stérilité. L’opportunisme est une excuse d’impuissance. Le radicalisme est un vieux masque derrière lequel il n’y a que des passions basses. Le centre gauche n’a pas de sexe. Qua faire avec tout cela ?

 

Je connais nombre de républicains désabusés. Je sais des légitimistes qui se tournent vers nous. La grande masse est flottante. C’est autour de vous seul que peut se faire le ralliement. Voilà pourquoi je me réjouis que vous soyez une personne ; voilà pourquoi je voudrais que cette personne fût mieux connue. Vous ne m’avez jamais entendu dire le moindre mal de ceux que vous appelez vos représentants directs. Je sais leur valeur qui est grande, et leur nécessité. Mais ces représentants qui ont tant d’attaches avec le passé, ne suffisent pas à préparer l’avenir. Les anciens se groupent autour d’eux ; les nouveaux hésitent et se tiennent à l’écart. Ce sont eux que l’on entend demander sans cesse : « Mais qui est le Prince Impérial ? ». On le saurait bientôt, si Votre Altesse se multipliait par les mille moyens qui lui sont offerts ; si les journaux qui servent sa cause sentaient directement sa main ; si nos députés, les jeunes surtout, étaient plus souvent encouragés et réprimandés par vous ; si vous étiez le chef qu’on sent partout présent, comme les serviteurs de Napoléon Ier, qu’ils écrivissent, agissent ou parlassent, s’imaginaient que l’Empereur était derrière eux, les mains croisées derrière le dos, écoutant, regardant, jugeant.

 

Puissiez-vous ne pas trouver que je rabâche ! Au moins dis-je ce que je crois être la vérité. Ce n’est pas que je me prenne pour un politique. Vous savez bien mon sentiment, qui est que je manque de toutes les qualités requises pour cet emploi. C’est pourquoi je ne vous parle jamais politique sans y être provoqué par vous. Je n’ai pas, de ce côté, la moindre ambition. Je n’aime la politique qu’à cause de vous. Ce sera l’excuse de cette lettre, si elle en a besoin.

 

Si Votre Altesse voulait bien me répondre un mot, je lui en serais très reconnaissant. Le ton de sa dernière lettre m’a un peu inquiété. Votre affection étant une des rares choses auxquelles je tienne, j’ai un peu besoin d’être rassuré ».

Partager cet article
Repost0
13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 08:10

[la Revue des Deux Mondes – 1er avril 1929 in "Une correspondance inédite : le Prince Impérial et Ernest Lavisse" p. 572  à 574]

 

 

Janvier 1877

 

 

« Mon cher monsieur Lavisse,

 

Je vous remercie du souvenir que vous me gardez et du désir, que vous dites avoir, de reprendre les travaux que nous interrompons toujours avec regret. Ce désir est aussi vif chez moi que chez vous et j’espère que, d’ici peu de temps, nous pourrons le réaliser. Sous le billet de jour de l’an, se glisse un reproche immérité, vous en aurez bientôt la preuve, mais je vous en sais gré comme, du reste, j’aime à m’entendre dire mes vérités.

 

Je ne veux pas me borner, aujourd’hui, à répondre aux quelques lignes affectueuses où vous m’exprimez vos vœux ; je me souviens que je suis en retard sur vous de plusieurs lettres, que ces lettres me questionnaient sur des points qui méritaient des éclaircissements et que j’ai laissés dans l’ombre. Je veux aujourd’hui rattraper le temps perdu : me voici prêt à répondre.

 

Vous me parliez du journal la Nation et vous m’énumériez les difficultés que Duruy avait eues à surmonter et vous ajoutiez combien un encouragement lui eût été nécessaire. Ces difficultés étaient cause, disiez-vous aussi, de certaines erreurs, de certaines fautes, que l’on aurait été enchanté de voir relevées ou corrigées par moi.

 

De façon à éviter tout malentendu entre la Nation et moi, je vais établir quelle doit être notre situation respective en reprenant l’ordre des faits.

 

Ce journal n’a été fait ni par moi, ni par mes représentants directs, je ne suis engagé vis-à-vis de lui d’aucune façon. Je n’ai donc pas à entrer dans le détail de l’organisation, ni à analyser les difficultés que l’on a eues à vaincre : je n’ai qu’à constater le résultat.

 

Selon le résultat obtenu, je me promettais, soit de prendre la haute direction et d’accorder mon patronage, soit de rester sympathique, mais en dehors de tout. Or, vous savez combien je désirais avoir un journal, s’inspirant de ma pensée et expliquant la conduite du parti.

 

J’avais donc convenu avec vous, à Arenenberg, que Duruy m’écrirait ou me ferait écrire par vous, Filon, ou Béhic, quelque temps avant la publication du journal et qu’alors je lui ferais connaître ma pensée :

1° sur la situation politique ;

2° sur la ligne de conduite qu’elle comportait et par conséquent sur la thèse générale à soutenir ;

3° sur les trois ou quatre grandes questions politiques et sociales appelées à occuper le tapis.

 

Ceci fait, c’était à lui à faire une application constante des principes posés et à déduire de la théorie acceptée une série d’articles sur les questions du jour, qu’on ne pouvait prévoir dans leur détail. Alors, il eût été en droit de me demander mon appréciation sur sa conduite et je ne lui aurais refusé ni les félicitations ni le blâme …

Au lieu de cela qu’est-il arrivé ?

Duruy ne me fait rien demander avant la publication de son journal (je n’ai donc pu lui donner les indications générales dont il voulait s’inspirer) ; puis, après avoir écrit une série d’articles, il me demande mon approbation ; eh bien ! je n’ai pas cru devoir lui donner cette approbation : 1° parce que les idées qu’il émettait n’étaient pas conformes aux miennes ; ma lettre à Béhic le lui montrait ; 2° parce qu’il ne s’était pas conformé à ce qui avait été arrêté.

 

Ainsi, pour tout dire en un mot, la façon dont la Nation a été créée, faisait qu’elle ne pouvait devenir mon journal que par adoption.

 

Je n’ai pas voulu l’adopter par avance, sans savoir à quoi je m’engageais, j’ai voulu attendre pour la juger à l’œuvre. Et maintenant que l’essai est fait, je dois dire que, malgré le talent de ses rédacteurs, cette feuille ne mérite pas que je lui fasse une place exceptionnelle dans la presse du parti …

 

Au sujet de la lettre que j’ai écrite à M. Béhic, vous semblez croire qu’elle n’émane pas de moi : vous êtes dans l’erreur. Dorénavant, soyez bien persuadé que toute lettre écrite par moi, est pensée par moi. Une pareille méprise pourrait avoir de graves conséquences : certaines personnes s’en serviraient comme d’un prétexte, pour désobéir à mes instructions. Du reste, je garde pour moi le soin de décider sur les moindres affaires qui me parviennent, je suis seul à lire mes lettres et si je ne réponds pas toujours, c’est qu’elles ne comportent pas de réponses.

 

Vous me parlez aussi de Filon, que vous dites malade, j’espère qu’il ne l’est pas aussi gravement que vous croyez ; quoi qu’il en soit, veuillez me tenir au courant de sa santé.

 

Sa conduite dernièrement m’a peiné. Je lui avais fait savoir qu’un de ses articles m’avait déplu ; et blessé de ce que ma désapprobation n’eût pas été tenue secrète, il m’a fait parvenir une lettre à laquelle je n’ai pas jugé convenable de répondre, vu le ton sur lequel elle était écrite. Filon doit assez me connaître, pour être bien convaincu que ma conduite vis-à-vis de lui n’a été dictée par aucun mouvement de mauvaise humeur et que c’est à regret que j’ai été forcé, dans l’intérêt du parti, de relever les appréciations qu’il avait émises. Je tiens à ce qu’il sache que je n’ai contre lui aucun ressentiment, parce que je sais que souvent attristé et malade, il se laisse aller à un premier mouvement de dépit qui ferait mal juger de son cœur, si on ne le connaissait déjà.

 

Quant à mes travaux historiques, je devais, selon ce que nous avions convenu ensemble, lire les ouvrages que vous m’avez fait parvenir sur la Russie et prendre des notes sur des documents historiques du règne de Henri IV que vous ne m’avez pas envoyés. J’ai fait le premier de ces travaux, mais l’ajournement de mon voyage lui a enlevé sinon ses fruits, du moins son opportunité.

 

Je compte revenir à Camden d’ici trois semaines ou un mois. Veuillez m’écrire pour me proposer un plan d’études, avant mon retour en Angleterre. Je ne pourrai, bien entendu, vu mes occupations, rien faire pour vous ».

Partager cet article
Repost0
10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 19:29

[la Revue des Deux Mondes – 1er avril 1929 in "Une correspondance inédite : le Prince Impérial et Ernest Lavisse" p. 568 à 572]

  

12 décembre 1876

 

 

« Ah ! Monseigneur ! comme je voudrais pouvoir causer avec vous quelques jours, et que je partirais volontiers pour Florence, si j’en avais le temps ! Je vous demanderais une heure pour vous parler de toutes nos affaires, et en particulier de la Nation.

 

Un fait que je considère comme très grave s’est produit à propos de ce journal.

 

Nous en avons longuement parlé, avant qu’il parût, pace que vous sembliez vous y intéresser vivement. J’ai dit à Votre Altesse que l’entreprise était difficile, parce qu’on avait à concilier des opinions, sinon opposées, au moins diverses, et qu’on se proposait de sortir des chemins battus. Au lieu de prêcher des convertis, on devait s’adresser à des païens ; pour cela, réunir un certain nombre de jeunes gens de bonne volonté, neufs et indépendants. Sans compter le souci qu’on aurait de parler en français, on s’efforcerait de n’être ni banal, ni violent, de ne point faire bâiller, mais aussi de ne point développer les germes d’hydrophobie que la nature dépose depuis quelques générations dans le sang de tous les Français. On se tromperait peut-être, on ferait même des fautes, mais il était convenu que Votre Altesse s’intéresserait directement au journal, quoique discrètement, et qu’Elle avertirait des fautes commises aussitôt qu’Elle les aurait remarquées.

 

Là-dessus on est parti en campagne. Vingt accidents se sont produits. L’administrateur Martin est tombé malade d’une pleurésie, et voilà Duruy obligé de s’occuper de toute l’organisation matérielle. On arrive à être à peu près prêt, au jour dit ; Bouchery, secrétaire de la rédaction, c’est-à-dire personnage indispensable, devient fou, et voilà Duruy obligé d’être son propre secrétaire. L’imprimeur auquel on s’est lié par un traité, fait de si mauvaise besogne qu’il faut surveiller ses ouvriers jusqu’à quatre heures du matin, sans parvenir à éviter les retards, ni les fautes. Duruy, qui ne peut pas tout voir, laisse passer un article malheureux de Filon : Filon, blâmé par Votre Altesse, donne sa démission de rédacteur politique [dans cet article, Filon affirmait sa confiance dans le maintien de la paix, fondée sur l’impossibilité où était alors l’Angleterre de faire la guerre. Le Prince, dans une lettre à M. Rouher, désavoua ces idées]. Restent, Albert, qui est accablé, passant toutes ses nuits, et Delafosse, qui, heureusement, lui est resté fidèle et fait de très bonne besogne.

 

Cependant les bons amis regardent de travers le nouveau venu. Leur défiance évidemment jouée s’accroît en apparence. Ils se scandalisent, crient à la trahison et se voilent la face. On en prend son parti, peu soucieux qu’on est, après tout, de l’approbation enthousiaste d’hommes, dont les trois quarts rêvent d’un Empire, fort peu désirable, un Empire confit en dévotion, et attendent avec impatience Votre Altesse pour la tremper dans un bénitier, dès son arrivée ! Mais ce qui est dur, Monseigneur, c’est votre silence absolu, après que vous m’aviez promis de m’écrire à moi pour me faire connaître votre sentiment et votre volonté.

 

Ce silence vient d’être rompu, et c’est là le fait dont je parlais tout à l’heure, d’une manière fort inattendue.

 

Votre Altesse a envoyé une longue lettre à M. Béhic dont j’ai vu la copie.

Ce qui me fait de la peine, ce n’est pas que vous n’ayez pas écrit à Duruy ; jamais je ne conseillerai à Votre Altesse d’écrire à quelqu’un qui est dans la lutte directement engagé. Vous vous devez également à tous, en restant supérieur et juge ; mais, Monseigneur, cette lettre à M. Béhic, j’ai bien reconnu que ce n’est pas vu qui l’avez écrite, et c’est ce qui me désole. Il est vraiment pénible de faire ce que font mes amis, de se dévouer à vous, corps et âme, librement, par choix et sans vous demander d’autre sacrifice que votre intérêt bienveillant, et de ne recevoir pour récompense qu’une communication administrative.

 

Dans cette lettre, Monseigneur, il y a des erreurs. Votre Altesse paraît ne guère attacher d’importance aux élections de février, et ne pas croire à la force du parti républicain. Or, cette force est considérable, et il faut bien nous résigner à croire qu’un bon million de Français électeurs a la haine de l’Empire et le besoin d’être guéri de cette haine.

 

Votre Altesse ne croit pas qu’il soit besoin d’agir sur le Parlement ; mais agir sur le Parlement, n’est-ce pas une façon d’agir sur le pays ?

 

A l’heure qu’il est, en pleine crise, alors que les plus naïfs commencent à voir les absurdités de la constitution, et que l’Empire réapparaît comme une nécessité, on cherche dans le Parlement les hommes de l’Empire. Et qu’y voit-on ? Un parti à la débandade, un chef qui n’est jamais là, dans les grandes circonstances, des tirailleurs qui donnent à volonté ; des jeunes gens qui font des niches d’écoliers : aucune action commune, si ce n’est contre le phylloxera, qui ruine les vignes, mais stimule l’activité législative de nos amis ; des propositions saugrenues, qui rappellent celles de l’ancienne gauche ; des interruptions ; des coups de grosse caisse, et le cri de « Vive le Pape roi » ! accompagnant le cri de « Vive l’Empereur ! ». Puis c’est tout. Je me trompe : de graves et inconcevables impudences, comme celle qu’a commise l’autre jour M. Rouher, en prophétisant en plein banquet du Grand Hôtel, devant vingt domestiques de la police, la prochaine extermination de la Prusse ! Je vous jure que, si je n’étais pas impérialiste, ce spectacle ne m’amènerait pas vers vous.

 

Je crois donc, Monseigneur, que l’action parlementaire n’est pas à dédaigner, et qu’un journal qui empêcherait les sottises qu’on fait, rendrait bien des services. La Nation n’a-t-elle pas bien prédit ce qui arriverait à ces élections du Sénat où nos amis, vassaux fidèles des anciens partis, ont voté pour le négociateur de Frohsdorf, et mis une fois de plus en pratique la théorie du doigt dans l’œil ? [Au Sénat, M. Chesnelong, dont on connaît les rapports avec le comte de Chambord, venait d’être élu sénateur inamovible (26 novembre 1876). Les bonapartistes avaient voté pour lui]. N’est-ce rien que de montrer un Empire qui n’est ni celui d’Amigues, ni celui de Cassagnac [Jules Amigues, alors rédacteur de « l’Ordre ». Paul de Cassagnac écrivait dans le « Pays »], un Empire de raison, démocratique, laïque, napoléonien ?

 

Que le journal se soit trompé quelque fois, je le reconnais, mais comme on y aurait heureux d’être corrigé par vous ! Un mot, un seul, adressé à Filon ou à moi, aurait suffi, à Filon surtout, que je sais fort désolé, et qui ajoute ce chagrin aux préoccupations d’une maladie qu’il croit et que je crois mortelle.

 

Voilà, mon Prince, une très longue lettre. Excusez-moi, c’est mon devoir de vous dire toutes ces choses, et de vous répéter qu’on ne vous voit pas, qu’on ne vous sent pas assez. On ne demande pas seulement : « Où sont les hommes de l’Empire ? ». on demande aussi : « Où est l’Empereur ? ». Votre Altesse ne sait pas combien on s’occupe d’Elle, et ce que je souffre à entendre dire : « Il paraît que le prince ne s’occupe de rien, qu’il ne lit pas les journaux, qu’on ne peut lui écrire en sécurité parce que d’autres que lui lisent les lettres les plus confidentielles ; qu’il ne s’intéresse pas à la conduite du parti ; qu’il n’a jamais donné un avis à M. Rouher, qu’il ne lui a jamais fait une de ces questions qui seraient des ordres, etc. ». Je nie tant que je puis, mais je ne peux faire pourtant qu’on vous voie autrement qu’enveloppé dans un nuage d’où sort de temps en temps une lettre que vous n’avez pas écrite. Et dire que vous pourriez si bien faire ce que vous ne faîtes pas, que vous avez l’intelligence si mûre et si sûre, et que, dès maintenant, vous vous placeriez si haut, si votre volonté, - vous dites que vous en avez une, - se montrait en temps opportun !

 

Monseigneur, ce n’est pas seulement la longueur de ma lettre que je vous prie d’excuser ; c’est la franchise que j’y ai mise. Votre Altesse m’a toujours autorisé à lui parler ainsi ; je ne saurais d’ailleurs lui parler autrement, commandé que je suis par mon dévouement, qui n’est point banal, et ne me permet pas une minute d’hésiter à faire mon devoir envers vous, dussé-je vous déplaire un moment. Vous savez bien ce que j’espère et ce que j’attends de vous ; que je vous aime, pour vous-même, énormément, plus encore pour la France, et que j’apprécie mieux que personne vos qualités d’intelligence et de cœur, que vous n’avez révélées à personne plus qu’à moi.

 

Je ne demande pas à Votre Altesse de me répondre ; je la prie seulement de brûler cette lettre et d’y penser un peu, car j’y ai mis, je crois, beaucoup de vérités ».

Partager cet article
Repost0
10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 19:24

[Lettre autographe signée, datée du 12 novembre 1876, à Armand BEHIC, député de la Gironde & ancien ministre de Napoléon III ; 4 pages et quart in-8. Collection privée ©]

 

Florence, 12 novembre 1876

 

 

« Mon cher Monsieur Behic,

 

M. Duruy m’a écrit pour m’exposer son programme et me demander mon approbation.

Cette lettre étant postérieure à l’article programme de la Nation, M. Duruy me demande plutôt un acquiescement à ce qui a été fait qu’un mot d’ordre en vue de ce qui doit se faire.

Désireux de ne pas prendre la responsabilité d’idées que je n’ai pas inspirées et soucieux de ne pas décourager des efforts naissants, je ne veux donner directement à la Nation ni approbation ni blâme.

 

C’est pour cela que je vous adresse les quelques observations que les premiers articles du nouveau journal m’ont suggérées. Ils contenaient à peu près les idées suivantes : « l’Empire sorti vaincu de la dernière lutte électorale est une minorité dans le pays. Ennemis des moyens révolutionnaires, respectant les faits accomplis, nous comptons ramener graduellement la France à nos principes par une conduite patriotique et désintéressée. Nous voulons donc être l’opposition constitutionnelle du Maréchal ».

C’est là le plan d’une politique loyale mais elle repose sur deux erreurs.

En premier lieu, parce que rien ne prouve que la majorité du pays restée indifférente aux dernières élections soit hostile à l’Empire.

En outre, parce qu’il est bien présomptueux de croire que la conduite parlementaire de notre parti suffirait pour changer les sympathies de la France.

 

Je veux laisser notre presse libre de défendre ma cause comme elle l’entend, mais il est bon que les écrivains de nos journaux sachent quel langage je voudrais leur voir tenir. J’aurais été bien aise de voir la Nation, par exemple, développer les idées suivantes.

 

1° Notre point d’appui, notre force et aussi notre juge résident dans la nation. Nous devons donc agir pour elle et nos écrits ne doivent pas tendre à nous donner des avantages parlementaires ; ils doivent franchir cette étroite enceinte pour s’adresser directement au pays.

2° La nation, aujourd’hui, engourdie par un long provisoire, en jouissant d’un repos qu’elle sait ne pas pouvoir durer sortira tôt ou tard de son indifférence et cherchera une solution autre que la République qui n’est et ne peut être en France que provisoire. Ce moment sera critique autant à cause des passions qui fermentent à l’intérieur qu’à cause des complications qui s’élèvent du côté de l’orient.

3° Nous voulons mettre à profit le temps peut-être trop court qui nous sépare de la crise, afin que lorsque le moment sera venu l’Empire se soit montré, autant par sa force que par la faiblesse de ses adversaires, le seul moyen de salut.

4° L’Empire se montrera fort en attendant le danger, sans en hâter l’approche. Il se montrera patriotique en dédaignant une opposition mesquine qui ne donne qu’une influence malsaine et qui tout en visant les représentants du pouvoir atteint le pays et compromet ses intérêts.

5° Les Impérialistes se montreront hommes de gouvernement et gens de cœur en soutenant ou combattant une mesure non à cause de ceux qui la présentent mais à cause de ce qu’elle vaut ; en ne songeant pas à ceux avec qui ils votent mais en votant selon leur conscience de français.

6° Pendant 20 ans des hommes dont les principes ont servi de marche pied à leur ambition ont fait à la France et à l’Empire cette guerre déloyale. Nous qui ne songeons pas seulement à détruire mais à édifier, nous ne les imiterons pas.

7° Du reste, il est nécessaire de laisser la République se débattre entre ses intérêts et ses théories. Il est utile de ne pas troubler cette épreuve tant que la France ne sera pas en danger. Car la République ne sera réellement morte que lorsque les Républicains eux-mêmes l’auront tuée.

 

J'ai rapidement jeté ces idées sur le papier. Elles pourront peut-être servir à ceux de nos journalistes désireux de connaître ma pensée.

Croyez mon cher Monsieur Behic à mes meilleurs sentiments.

Napoléon ».

 

http://prince.imperial.over-blog.com/photo-1706903-File1876a_JPG.html

Partager cet article
Repost0
10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 19:08

CONTEXTE & GENESE

 

Histoire de la presse française depuis 1789 jusqu’à nos jours (H. AVENEL), 1900 (p. 717)

 

« La République victorieuse eut une existence sans grandes secousses pendant l’année 1876 et les premiers mois de l’année 1877 […]. Dans cet intervalle, quelques nouveaux journaux virent le jour.

La Nation (21 octobre 1876) était rédigée par des écrivains de grand mérite, Jules Delafosse, Augustin Filon, Albert Duruy, acquis à la cause bonapartiste et à la doctrine de l’Appel au peuple ».

 

 

UNE VOLONTE DE « RENOUVELER » LA PRESSE PARTISANE

 

Louis, Prince Impérial (S. DESTERNES & H. CHANDET), 1957 (p. 180-181) :

 

« Filon, l’ancien précepteur du prince, avait fondé avec Albert Duruy, fils du ministre de l’Empire, et Lavisse un journal La Nation, qui tentait une nouvelle forme de propagande. Cet organe se proposait non de prêcher les convertis comme les autres feuilles bonapartistes, mais les « païens ».

Pour cela avait été réunie une équipe de jeunes gens « de bonne volonté, neufs et indépendants ». « On s’efforcerait de n’être ni banal ni violent, de ne pas faire bâiller. » Programme ambitieux. Comme il se devait, le nouveau journal fut regardé de travers par « les bons amis », disait Lavisse, c’est-à-dire par ceux qui rêvaient « un empire confit en dévotion et attendant le prince pour le tremper dans un bénitier ».

 

 

« L’ARTICLE-PROGRAMME » DE LA NATION (EXTRAITS)

 

Histoire de la presse française depuis 1789 jusqu’à nos jours (H. AVENEL), 1900 (p. 717)

 

 « Nos convictions, disaient-ils dans le premier numéro, et nos sympathies n’ont nullement été modifiées, parce que notre opinion n’a pas triomphé en février dernier ; mais le respect, dont nous faisons profession pour la souveraineté du peuple, nous impose l’obligation de n’apporter aucune entrave à l’exécution de sa volonté … Aux républicains de justifier, en l’appliquant, leur programme, dans lequel nous ne comprenons pas, bien entendu, les aspirations irréalisables du radicalisme.

Qu’ils se mettent donc enfin à pratiquer complètement et vraiment le régime républicain, pour permettre à la France d’en apprécier la valeur. S’ils réussissent, ils forceront les convictions contraires à reconnaître leur succès. S’ils échouent, tous ceux qui auraient espéré fonder une République conservatrice et modérée feront honorablement retour à une autre forme de gouvernement, compatible avec la constitution égalitaire et démocratique de notre société … Son but est de préparer, en éclairant l’opinion, la manifestation décisive du suffrage universel, qui doit se produire après que seront expirés les pouvoirs de la Chambre actuelle. »

 

 

UNE AMBITION CONTRARIEE : LA REACTION DU PRINCE IMPERIAL

 

Louis, Prince Impérial (S. DESTERNES & H. CHANDET), 1957 (p. 180-181) :

 

« Bientôt l’attitude du prince fut critiquée par Lavisse qui lui reprocha d’avoir fait connaître son avis sur cette feuille par le truchement de Béhic, député de la Gironde. « Il est pénible de faire ce que font mes amis, de se dévouer à vous corps et âme, librement, par choix et sans vous demander autre chose que votre intérêt bienveillant et de ne recevoir pour récompense qu’une communication administrative ».

Le prince répondit en reprenant « l’ordre des faits ». Il avait été convenu que Duruy, avant la sortie du journal, lui enverrait quelques articles qui feraient connaître la pensée des rédacteurs sur les questions à l’ordre du jour.

Or Duruy, sans rien demander, avait publié plusieurs articles. Après seulement il avait sollicité une approbation que le prince ne pouvait donner, les idées émises n’étant pas conformes aux siennes.

Incident caractéristique. De jeunes éléments, sincèrement dévoués à Louis, mais violemment opposés aux hommes du parti, voulaient « faire du nouveau ».

Il était bien difficile d’harmoniser toutes ces tendances dans un parti qui n’avait pour toute doctrine que l'Appel au peuple, formule assez vague pour abriter les théories les plus opposées. Ainsi le prince se trouvait sans cesse en présence des tiraillements, des mécontentements, des prétentions de ses partisans. »

 

 

UNE FIN PREMATUREE

 

Le Prince Impérial, souvenirs et documents (A. FILON), 1912 (p. 169) :

 

« La Nation, qui n’avait jamais tiré à plus de huit cents et qui avait mangé son capital initial en moins de six mois, allait disparaître. […] L’Ordre restait le journal de doctrine, tandis que l’Estafette demeurait le journal de propagande. »

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le Prince Imperial Napoleon IV
  • Contact

Recherche