Le Prince Impérial
« A la nouvelle que le prince impérial venait de trouver la mort dans la guerre du Zoulouland, la presse française, à de rares exceptions près, a spontanément manifesté ses sympathies pour cette femme malheureuse, pour cette mère qui se voyait si brusquement enlever l’orgueil de sa vie et la suprême consolation de sa vieillesse. Les journaux ont oublié leurs querelles de parti pour saluer respectueusement la tombe d’un soldat, qui, malgré l’éloignement forcé auquel il était condamné, était toujours resté Français. Le Monde illustré ne peut rester en dehors de cette manifestation de la pitié en faveur de celle qui, pendant dix-huit ans, fut assise sur le trône de France ; il s’associe donc cordialement aux sentiments si noblement exprimés par une partie des journaux parisiens et principalement par le Moniteur.
Le prince impérial était devenu très populaire en Angleterre ; il s’était façonné aux mœurs du pays ; il avait voulu entrer à Woolwich comme un simple cadet de famille ; il s’était toujours montré d’une grande douceur et d’une grande simplicité à l’égard de ses camarades ; on racontait quelques traits tout à son honneur. Cela se répétait, les journaux du pays s’occupaient de lui, de sorte que les sympathies de la population lui avaient été bien vite acquises. On n’oubliait pas surtout qu’il était le fils de l’allié fidèle de la nation anglaise. Toutes ces raisons firent que sa mort produisit, de l’autre côté du détroit, un retentissement au moins égal à celui qu’elle eut en France. Poor boy ! disaient les Anglais en songeant à cette fin si triste et si prématurée.
On sait que le prince avait voulu suivre sa batterie dans le Zoulouland. Arrivé à cet âge où beaucoup de fils de famille gaspillent leur vie et la jettent à tous les vents de la passion et du plaisir, il avait voulu faire acte de virilité ; et, malgré les larmes de sa mère, il était parti avec ses camarades de régiment pour le sud de l’Afrique. Ceux-ci ont résolu de célébrer sa mémoire en lui élevant un monument, et, à l’heure où nous écrivons, une souscription est ouverte dans ce but à l’école de Woolwich. A l’école, en effet, le prince avait absolument vécu de la vie des autres jeunes gens, assis à leurs côtés dans les salles d’étude et sur les bancs des classes, partageant leurs repas, et n’ayant sur eux d’autres prérogatives que celle d’un logement particulier. Il a été décidé que, lorsque son corps reviendrait en Angleterre, on lui rendrait les honneurs militaires tout comme on les rendrait à un officier anglais.
Nous aurions voulu pouvoir vous raconter à nos lecteurs quelques anecdotes de la jeunesse du fils de Napoléon III. Toutefois, en voici une qui montre qu’aux Tuileries mêmes l’enfant était élevé avec une certaine sévérité.
Il avait six ou sept ans à cette époque ; le bambin avait pour un petit chat du palais une affection très grande. Un jour, son ami à quatre pattes, dans un moment de mauvaise humeur, sans doute, montra les griffes et même les fit sentir. Le petit prince, furieux, saisit une pelle au coin de la cheminée et s’élança vers le chat qui se pelotonnait, tout honteux de son méfait. A ce moment, l’impératrice entra, et, après avoir vertement admonesté l’enfant, elle le condamna à rester enfermé pendant toute la journée dans sa chambre. Le prince, l’oreille basse, se disposait à obéir, quand il se rappela soudain qu’il avait une satisfaction à accorder à celui qui avait failli devenir sa victime. Il se retourna vers son chat, et, le cœur bien gros :
- Pardon, petit chat, dit-il tristement.
La mère se sentit désarmée, et l’enfant fut pardonné. C’est une histoire d’enfance ; quant aux traits de son adolescence, c’est aux historiens anglais qu’il appartient de les raconter, car, à l’âge de treize ans, le fils de Napoléon III partait pour l’exil, où la mort devait le surprendre ».
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